Mer de sang s’étendant à l’horizon, arbres au feuillage de chair, cris de tourments d’une source mystérieuse, les deux cadavres ambulants se frayent un chemin parmi l’hécatombe. Pas lent, mécanique, de la jouvencelle qui, louvoyant dans la sylve marécageuse où l’odeur de putréfaction flotte, observe au loin sans s’étonner de l’apparence transformée de l’endroit par les soins de son obscure imagination. La Mort rôde, mais ne prend pas, permettant à ces carcasses errantes de percer des ténèbres étrangères qui, selon son comparse, sauraient les mener tôt ou tard vers le Pays de la Foudre, là où attendaient les prémices d’une orgie de sang. Ichi riva son minois vers la voûte céleste en quête d’un nuage… mais rien, hormis cet astre solaire qui annonçait sa montée par l’intermédiaire d’une magnifique aurore rougeâtre. Ses globes embrassèrent de nouveau les marécages morbides sans un seul signe de faiblesse face à cette triste illusion et c’est avec indifférence qu’elle conserva le rythme de sa promenade sans même se préoccuper de l’homme à ses flancs. Le bras vers l’arrière tirait une lourde charge, celle de son épée légendaire qui labourait le sol, marquant la terre d’une très longue cisaille qui annonçait leur passage sur ce territoire. Son pâle regard fut obstrué le temps de quelques secondes par ses paupières, puis se rouvrit, contemplant désormais un banal paysage, celui propre à une réalité désuète qui n’équivalait en rien à la beauté du rêve et de l’illusion. Son crâne surmonté par une chevelure immaculée se tourna dans une lenteur effrayante vers son fidèle compère et quelques mots, déployés d’une voix monotone, perturbèrent l’horrible silence qui talonnait les téméraires sabreurs depuis leur départ du village :

x Il va pleuvoir…

Loin d’être une hypothèse véridique, la jouvencelle avait pu vérifier d’elle-même, quelques secondes plus tôt, ce ciel dégarni de cumulus qui trônait sur leur tête, les exposant à la clarté d’une journée merveilleusement ensoleillée. Mais elle ne le voyait pas ainsi, ayant contemplé plus tôt ces traces rougeâtres dans le firmament, appartenant à des lueurs de l’aube matinal, mais symbolisant à son regard tourmenté l’annonce indéniable d’une toute autre sorte de pluie. Son masque d’indifférence éternellement figé sur un visage condamné à sourire pour la vie était rivé vers son partenaire pendant de très longues secondes. Puis, sa tête revint sur son angle d’origine et ses pupilles ternes fixèrent de nouveau le tableau funeste que lui exposait son imagination. Elle seule pouvait le voir, ce paysage de torture et de douleur qui lui évoquait la mort et le mal de vivre. Conservant sa marche somnambulique, elle ne laissa le temps à ces cris austères qu’elle-seule pouvait entendre de prendre place, les devançant en poursuivant une phrase que l’on aurait pu croire terminée :

x Oui… Il va pleuvoir du sang.

La route qu’ils empruntaient ne s’annonçait aucunement sans embûches et la vermine, grouillant parmi les arbres nombreux, sortirait bientôt de son terrier afin d’importuner les deux épéistes légendaires. Leur affection à cette mission d’éclaireurs les sommait d’éliminer toute menace sur la route qu’empruntera le cortège constitué de la Mizukage et de ses troupes d’ici peu. La vision fixe sur l’horizon qui se détachait graduellement de la noirceur, Ichi suivait le trajet sinueux sans même jeter des coups d’œil derrière elle. Sans que son geste fût suspecté, elle arrêta brusquement sa marche et, la tête basse, admirait un petit détail qu’elle seule pouvait percevoir : une goutte de sang, plus rouge que la mer dans laquelle les deux amis baignaient autrefois, se démarquait. Ploc. Ploc. Ploc. Dans un rythme sporadique, la flaque s’élargissait à vue d’œil, teintant ses sandales noires sans que cela ne puisse offusquer leur détentrice. Si son partenaire devait se demander ce qu’elle pouvait bien percevoir, elle ne s’en préoccupa guère et restait aussi coite qu’elle le fut depuis toujours. Finalement, sa petite voix déchira les mystérieux limbes de sa pensée pour mettre au courant son cher compère :

x Ah. Vois-tu, Shūhei-san(♥)? Le sang se met déjà à tomber.

Et son bras, si pâle et frêle, se tendit afin de pointer la tache de sang qu’il ne pouvait effectivement pas percevoir. Son regard, au final, embrassa la cime des arbres qui les entourait : Ichi avait ressenti la présence d’un importun et ledit inconnu était effectivement perché au-dessus de leurs têtes, déglutissant de travers lorsqu’il croisa de très haut le regard vide du cadavre vivant…